inhabit v inhibit
Apocalypse, zones humides et alchimie.
Inhabit v Inhibit (en) by Aurélien Adolescenz on Scribd
Situation chaotique
« Les hordes de monstres que vous-mêmes avez générées, elles sont
maintenant réveillées et nous seront présentes au-delà de vos pires cauchemars.
Nous sommes une réalité imparable. / Nous hériterons du monde, et vous, porcs qui détenez ce pouvoir qui
vous paraît maintenant si solide, serez enterrés avant même de vous en rendre
compte. Alors, nous, les mutantes, les putes, les viragos, les transgéniques
irons profaner vos tombes, jouir sur elles et les pulvériser. C’est le monde qui
vous attend. » - Diana J. Torres
L’économie inhibe la vie. Quatre machines économiques détruisent les
forces vives et leurs habitats, en les épuisant.
La machine capitaliste harnache la civilisation à la production, par la domestication, la
captation et la propriation du vivant. La planète changée en abattoir et les
zones humides en déserts. Le travail et la monnaie se sont imposés pour étendre
le domaine de la valeur : mesurer, planifier et chiffrer la Terre. A son
apogée aux XIXème et XXème siècles, les rouages capitalistes commencent aujourd’hui
à rouiller sous les effets conjugués des insurrections,
des désertions et d’un accès inédit aux informations via Internet (merci le
web). La machine sociale contrôle
justement nos sources de connaissances, elle les arrime aux médias dominants et
noie nos savoirs inédits dans les normes
de la consommation et du spectacle. La mainmise de la civilisation sur le
vivant est ainsi historiquement ancrée par le progrès capitaliste que la
société nous a toujours déjà vendu. Les deux machines forment ensemble le système (civil) ayant engendré la
sixième extinction massive des espèces vivantes. Néanmoins, depuis quelques
décennies, les normes se dissolvent de manière accélérée et le contrôle de
l’information via les médias s’effiloche, la méfiance et la colère ayant remplacé l’espoir d’une vie
tranquille : le mythe du mérite s’effondre… et nous vengerons les
marsouins !
La machine morale, toute-puissante lorsqu’elle écrasait le vivant sous
les monothéismes, avait vacillé ensuite, lors des profondes remises en question
de ses piliers religieux, notamment au XXème siècle, via les révolutions
sexuelles des années 20 (pornographie littéraire et photographique ;
stag films ; psychanalyse ; lieux de fêtes et de plaisir ; etc.) et surtout 70
(pornographie filmique ; sexologie ; contraception + IVG ;
libération des mœurs ; adolescence ; féminisme ; etc.) Pourtant,
depuis bientôt cinquante ans, elle s’est transformée et revient de manière plus
insidieuse, s’insinuant et infiltrant son poison partout. La machine sociale,
et avec elle le système civil entier, s’en retrouve dépendante, sous perfusion
des purismes. Effectivement, la
victimisation, la culpabilisation et les nouvelles religions (transhumanisme,
algorithmes, IA, etc.) s’allient aux dispositifs de surveillance devenus omniprésents : la propagande morale a
changé les humains en citoyens puis en délateurs et la fabrique des
comportements par des réseaux toxiques a neutralisé, au moins partiellement, la
possibilité de « niquer le système ! » Signalements et
auto-censure. La machine morale fige les imaginaires et enferme le vivant dans
des cases. Des prisons. Pire, elle prend en otage
ce qu’elle ne comprend pas (les enfants, les ados, les fous, les handicapés,
les étrangers, la sexualité féminine, etc.) afin de parler à sa place et
d’invoquer, en bon tyran, sa nécessaire protection.
Elle a ses lobbies et ses sectes. Tristesse.
Le système civil de la société
capitaliste, sauvé par la machine morale (imposée à grands coups de politesse,
modestie, respect, tolérance, paix ou sécurité), brûle pourtant encore sous les
feux des communes libres, des
zadistes et des poètes, des hackers et des délinquants, des gilets jaunes et
des pornographes. Mais les trublions, le vivant qui se défend, le bizarre qui
se répand, se trouvent très vite et brutalement ramenés à la réalité dystopique
du moment : la machine
administrative maintient l’ordre (chacun
sa place). Légitimée par les nouvelles technologies de la machine morale,
l’administration dirige désormais les choses et les mondes, abattant ce qui
résiste par l’atrocité du pouvoir du
haut de ses délires élitistes. Les mafias légales sont ses principaux
circuits : Etat, police, justice, bureaucratie, …cadres, managers, ingénieurs,
etc. Les décisions administratives pleuvent depuis les cieux gris de la morale.
Alors que le système civil de la société capitaliste vampirise notre
espace-temps, le Biopouvoir
s’attaque automatiquement à nos corps : la morale nous inhibe et
l’administration nous détruit. Dans la France de Macron, comme pour les
états-uniens sous Trump, les russes sous Poutine ou les brésiliens avec
Bolsonaro, vivre est devenu un crime.
Les administrations des nouvelles élites, à commencer par celles des GAFAM,
sous couvert d’une morale puritaine et de la personnalisation de nos
impuissances s’allient aux vieux réacs pour mieux asseoir leur domination.
Ainsi, le biopouvoir neutralise la vie tranquille et terrorise la vie libre en
une même procédure. Il a enclenché le
protocole visant à faire de nous des survivants, des victimes ou des
personnalités. Le biopouvoir orchestre l’apocalypse.
Cette dernière a l’image des tweets de nos gouvernements, l’odeur des lacrymos
en manifestation, le goût du sang des réfugiés, le bruit des animaux qui
agonisent et le tact des écrans de nos smartphones.
Pour profiter de ce qui reste des biotopes de notre planète, les élites n’ont pas hésité à pousser les machines économiques à fond afin de ravager le vivant et de briser les liens. Les inégalités inédites sont le fruit d’un cynisme et d’une tristesse confinant à l’ineptie : en se préservant, l’élite économique se transhumanise : des drones sur patte, des cyborgs à l’apparence occidentale, des robots à tête d’ingénieur. En nous transformant en survivants, ils se muent en subvivants. Parmi ces ruines d’un biopouvoir imposant son monde, les zadistes, victorieux du système civil mais défaits, partiellement, par la machine administrative, continuent à intensifier les liens vivants de possibles communes libres (ne serait-ce que par la rencontre inter-espèces) ; les gilets jaunes aussi, par acharnement contre la négociation, la représentation ou l’identification, font vaciller la civilisation mais se retrouvent acculés par l’administration. De nouvelles temporalités apparaissent et les mauvaises herbes, vivaces, communiquent…
Bricolage cosmique
« La ‘fabrication’ de sa sexualité est plus ici de
l’ordre du bricolage à faire avec l’image, faire avec l’image sa propre scène.
L’acte est l’écume du fantasme, un effet toujours en mouvement de
celui-ci. » - Éric Bidaud
La libération du vivant par le combat révolutionnaire ou la création
furtive d’habitats désirables a peut-être plus d’avenir dans la lutte des pornographes
(sex workers, porn creators + exhib) que dans celles déjà tant décrites des
zadistes ou des gilets jaunes (GJ). Plus précisément, les efforts complices des
zadistes, hackers, délinquants ou GJ risquent de ne pas suffire face à la
monstruosité immonde du biopouvoir car ce dernier parvient systématiquement à séparer les révolutionnaires les uns des
autres en les isolant de ce qui pourrait le mieux les réunir : leurs corps. Nos sensations, émotions et
sentiments -prenant forme et consistance au gré de nos imaginaires, soutenus
par nos fantasmes- sont l’espace primordial du conflit nous opposant à la
machine morale. Vaincre le biopouvoir passe par le partage du plaisir. L’intelligence sensible et la conduite de nos
désirs, l’éthique du chaos et les gestes justes sont l’enjeu toujours rejoué de
ce que peuvent les pornographes. Vivre autrement.
Par pornographie, nous entendons la publication
crue, obscène et transgressive de nos fantasmes visant la détente, l’excitation
et l’orgasme. D’emblée, nous saisissons que l’éducation à l’information
-efficace face au système civil de la société capitaliste- doit être complétée
par une nécessaire éducation à la
publication, surtout pour résister à la machine morale et ainsi s’en
sortir, ne serait-ce que par ruse, face à l’administration. Cela commence
toutefois du côté du plus grand nombre, derrière l’écran de celleux qui se
branlent ou qui se détendent, à l’aune de l’exploration fantasmatique : pour
sortir de la survie inoculée au
quotidien, le palimpseste de nos fantasmes -se déployant à fleur d’écran- nourrit l’envol d’imaginaires désirables
en localisant nos transgressions dans l’espace-temps de
la séduction. Mater du porno et se toucher est déjà une manière de se dérober à
l’emprise du système civil car la temporalité est ici celle de l’ennui (dixit
Bidaud) et celle du féminin (dixit Pommier). Autrement dit, nous y éprouvons le
temps différemment en incarnant nos
fantômes et en habitant les recoins
oubliés de nos sexualités. Des angles morts pour la surveillance… Alors que la
machine morale cherche à figer chacun dans sa structure et son identité, à
faire tourner le désir en boucle et à nous faire répéter les mêmes gestes, les fantasmes (ces mythimages, ces cinémois)
montrés explicitement, dépouillés de leurs oripeaux sociaux, nous impactant
dans la complexité de leurs torsions -leurs contradictions-, nous poussent à
retrouver ce qu’il y a de vivant en nous, le vif de nos corps excités, à tâtonner jusqu’à l’orgasme.
Contre la raison, la peur et la morale, la pornographie désinhibe.
Le biopouvoir semble être parvenu
à rendre la rencontre dangereuse (les
humains ne s’abordent presque plus), à moraliser le toucher (le péril de la
contamination ?), à déprécier la nudité
(entre censure sur les réseaux et normes pudiques) et surtout, à rendre l’orgasme tabou. Entendons-nous :
nous n’en avons jamais autant parlé mais comme d’une abstraction à la mode,
dans le secret banalisé des chambres à coucher. En parallèle du déploiement de
la pornographie, les recherches scientifiques de la sexologie ont permis d’en
savoir bien davantage sur l’érection du clitoris, sur la zone G
(clito-vagin-urètre se touchant), sur les fontaines féminines et les plaisirs
prostatiques. Sur les pathologies, les trajets nerveux, la dopamine et
l’ocytocine. Mais la connaissance, l’accès aux informations et les phénomènes
physiques classiques ne suffisent pas à atteindre le savoir souverain de l’orgasme. C’est là que l’expérimentation transgressive de l’obscène propre à la pornographie
intervient : en se détournant de l’amour et de l’angoisse, les hétérotopies porno (dixit Bidaud) rassurent par leur crudité anodine
(c’est réaliste et ça se passe bien), apaisant la brutalité du biopouvoir et
réparant les blessures infligées par la morale (aspect thérapeutique) mais excitent aussi par l’indécence de ce qui
est montré et qui ne devrait pas (selon l’ordre établi). Transgression
alimentée par la colère du corps
(trous, voix, regards, cris, fluides qui giclent ; montage des fantasmes
dans tous leurs excès) et la joie du
rire (peaux parcourues et visages à grand renfort de gros plans ; cadrage
en mode paysage ; ponctuation hétéroclite de l’infinie variété des corps).
Zapper de scène en scène, explorer les gestes excessifs et risqués du jeu de la
déconne, errer jusqu’au don gratuit de l’orgasme, en trouvant ce qui va
« crever les cieux » (dixit Bataille) de nos peaux abimées, en
s’abandonnant aux orages et aux étoiles, en se reconnectant à l’alchimie de nos
corps… Habiter nos corps passe
d’abord par un bricolage cosmique :
s’ouvrir à notre bestialité, à ce qui en nous est inhumain -nos bactéries,
notre devenir plante ou champi-, à ce qui en nous vient d’ailleurs -nous sommes
poussière de galaxie et fragments d’extraterrestres. Retrouver l’intensité
vivante des liens traversant nos
corps est la première chose se jouant avec la pornographie : bander,
mouiller, (se) toucher, (se) pénétrer, orgasmer sont des manières d’habiter
devenues révolutionnaires tant la panique morale et la brutalité administrative
ont envahi nos mondes.
L’excitation nous rend plus sensible au monde et plus disponible aux autres
(dixit Torres) mais si la solitude ne nous permet pas de désactiver les
dispositifs de capture inhibant la rencontre
et le partage orgasmique, la machine morale soutenant la machine sociale nous
obligera à un retour à la normale (malgré notre propre satisfaction et le fait
d’être moins triste, plus détendu, plus vivant).
Les jeunes baisent moins (dixit Kate Julian) car les machines économiques
rendent les mondes inhabitables, trop risqués. Autrement dit, les élites
économiques ne craignent que peu le fait que tout le monde puisse regarder du porno (dans la réalité, si
on enlève les enfants et les très vieux, ce sont les ¾ des humains qui en
matent assez régulièrement) tant qu’elles parviennent ensuite à gérer le vivant qui en ressort. Ce qui
serait leur perte, ce qui est leur hantise, c’est plutôt que tout le monde en fasse. Habiter nos corps est une chose
(magique) mais habiter nos mondes (en nomades, libres) en est une autre
(alchimique). Les liens nécessaires entre ce que nous faisons devant nos écrans
et ce que nous faisons dans la rue (GJ) ou la campagne (zadistes) sont l’actualité irradiante du bricolage
cosmique pouvant faire tomber à terre les subvivants qui nous administrent. Il
s’agit ainsi de passer des soins du corps à sa publication. Baiser et le montrer. Diffuser nos corps fusant du
dehors.
Communes pornographiques
« An app developer once
complained to me that sex workers outsmarted every effort developers made to
lock them out: "They figure out ways to use this stuff that we hadn't even
imagined." Solidarity and admiration, always, for this resilient, crafty
community. » - Heather Berg (fr)
Au cours du XXIème siècle, les
pornographes se sont peu à peu défaits de l’emprise capitaliste en se libérant,
par petites touches, de la pression sociale : l’industrie (avec ses
studios, ses producteurs et ses normes à l’ancienne) a été obligée de s’adapter
à l’expansion fulgurante des tubes et des réseaux permettant aux amateurs
pornographes de toucher autant de monde que les pornstars d’hier et
d’aujourd’hui ; les amateurs,
fondamentalement indépendants et
plus précis dans l’usage moderne des technologies sont ainsi parvenus à
estomper ce que le système civil avait importé au sein du porno… Les pornstars ressemblent de plus en plus
aux personnes croisées dans la rue (passant.e.s devenant soudainement pornographes
potentielles : en moyenne, une petite brune aux courbes normales, à en
croire les enquêtes et les tendances ; de même, les mecs athlétiques ont
perdu leur hégémonie) et, comme les amatrices mais aussi les couples de plus en
plus célèbres et nombreux, elles diversifient désormais leurs services et
activités : autant Twitter, Pornhub, Snapchat premium, Manyvids et/ou OnlyFans
que les contrats avec des studios. Les gros tournages sont devenus l’exception
et les réseaux -via les smartphones- la règle, amplifiant leurs vies,
l’expression de leurs fantasmes et ainsi, nous rapprochant autant d’une Riley Reid que de l’amatrice locale. Mia
Khalifa en bas d’chez toi… Les pornographes indépendants destituent le porno « mainstream ». Désintégration. Dans
un même temps, le cinéma traditionnel cherche lui aussi à montrer explicitement
la sexualité, dans ses fictions comme dans ses réalités (Lars von Trier, Gaspar
Noé et Carlos Reygadas n’étant ni les premiers ni les derniers) et les séries
TV à succès embauchent des coordinatrices « intimité » : les
frontières se font poreuses et les
machines économiques enclenchent la censure en accéléré pour freiner cette
nouvelle révolution sexuelle. Les services de l’empire Facebook traquent
la moindre nudité, surtout si elle est féminine, afin de l’éliminer ;
Tumblr a banni les pornographes ; Apple les a toujours déjà
invisibilisés ; Youtube et Vimeo aussi ; même les plateformes de
paiement (comme Paypal) ou de mécénat (comme Patreon) s’activent pour leur
mettre des bâtons dans les roues… La propagande morale est simultanément
étatique et multinationale (ex. d'AgeID) : ça tire de partout pour censurer la diffusion
du plaisir... Les pornographes ayant flouté
les limites de l’obscène -transgression, encore-, la réaction des machines
ratisse large : un téton féminin, c’est comme une bite bandante ou une
bouche pleine de pisse… La barricade des corps n’a que deux côtés :
vivants et excités ou tristes et morts. La bataille des images se radicalise.
L’exhib par cam a
profondément déstabilisé le système. Les catégories ont explosé. La diversité
des fantasmes se montre vertigineuse. La publication de contenu réellement
pornographique ou métonymiquement via la morale sape efficacement le système civil et commence à s’attaquer, de
manière assez organisée à la machine morale du biopouvoir (par ricochet, de
plus en plus de pornographes deviennent occasionnellement sex workers) : échappant au salariat, aux hiérarchies, aux institutions,
les pornographes parviennent ainsi aussi, et surtout, à se réapproprier leur espace-temps (dixit Heather Berg), habitant leur
corps à leur rythme. Ce qui est
publié n’est capturé que très partiellement par les plateformes (pourcentage du
fric + données des utilisateurs) ce qui signifie que la part productive des
pornographes est infime (mais pas négligeable pour la machine administrative)
par rapport à ce qu’elle était dans le système capitaliste. Les compromis avec
le système (comme la part économique et le problème des données) ne peuvent pas
occulter la manière révolutionnaire
d’envisager les mondes : les liens tissés via la recherche du plaisir et
la résolution des fantasmes permettent des rencontres inédites entre des gens
de milieux incroyablement différents. Le pouvoir de la machine administrative
et le maintien de l’ordre, habituellement soutenus par la victimisation ou la
culpabilisation, ne tiennent plus ici qu’au fil de la religion algorithmique. En
évitant la brutalité habituelle imprimée à ceux qui n’acceptent pas le système
civil, les pornographes indépendants
font aussi vaciller la propagande puritaine en proposant des mondes désirables, de bric et de broc,
au gré des désirs et des orgasmes et dans des rencontres encore timides mais, des
communautés se forment, et, avec l’intelligence sensible de la publication juste, peu à peu il semble redevenir
possible d’habiter nos mondes.
L’autonomie ainsi acquise appelle
au voyage : les pornographes
conséquents sont nomades et leurs publications suivent les pérégrinations des
mondes fantasmatiques. Les stigmates de la propagande morale créent des
solidarités rarement vues en dehors de la pornographie : une grosse noire trans
bisexuelle et un petit handicapé philippin gay peuvent interagir au gré des
fétiches et du savoir orgasmique… Si les revenus sont suffisants, il pourrait
même y avoir une rencontre IRL ! Il ne s’agit pas d’idéaliser ces communes
naissantes mais d’en montrer les potentialités
exceptionnelles : cherchant à contourner ou détourner les tracas de la
censure, plus que quiconque, les pornographes se rapprochent des qualités des hackers (en particulier dans le milieu
« postporno » des sorcières du hack) et leur expérience dans la
diffusion technologique d’image attirante
est une puissance faisant fantasmer n’importe quel anarchiste voulant toucher
le plus grand nombre. L’excitation ouvre la porte à l’art de libérer les corps.
En outre, les pornographes ont la science suffisante pour pervertir tous les
anciens piliers de la machine morale : mariage, monogamie (couple),
genres, (re)production, identités… ils en font des confettis ! Hybride,
queer, excessive et sale, la pornographie doit néanmoins encore faire face à la
surveillance et aux nouvelles religions high-tech pour parvenir, avec les
zadistes et les GJ, à durablement fissurer la machine administrative. Les performances (exhib réellement en
public, par exemple dans la rue) et la mise en abyme des vidéos pornos tournées
dans des lieux publics (indépendance
envahissant doublement l’espace du système civil) poussent plus loin la guerre
des mondes : habiter nos corps rencontrant d’autres corps vivants
habitant, communément, des espaces
libérés. La publication de ces partages potentiellement orgasmiques redouble alors l’immense puissance liée
à cette éthique du chaos, le maintien de l’ordre devenant presque impossible
face à la prolifération potentielle de ces communes
pornos.
Baiser en public ou performer, partager
nos plaisirs là où la transgression obscène défie le mieux l’ordre relève de l’émeute : l’espace-temps est
bricolé comme la caméra bricole des visages avec des sexes, sauvagement,
imprévisiblement, au risque du ratage… L’inventivité née dans l’urgence, l’adrénaline et la dopamine en
mode pogo, ce que les rencontres fantasmatiques puis réelles ont permis
d’organiser déborde alors : ça gicle dans les rues et ça silhouette des
trous et du nu en mode gonzo, du riot
porn au sens littéral du terme. Une leçon de matérialisme. Multiplier les usages (d’une cabine d’essayage, d’un
restaurant, d’Ikea ou des transports en commun, etc.), devenir furtifs (chercher les angles morts et les coins confortables, etc.), surgir violemment (dans une perf exhib bien
préparée telles celles de Deborah de Robertis ou de Diana Torres), se masquer,
se cacher, flâner l’air de rien, se promener, courir, fous rires, réussir ou
rater, suivre son plaisir, toujours… Ces aventures
tracent des mondes désirables puis les publient : géographie de nos
fantasmes. Education sexuelle et
politique, en un même geste. Les ateliers pornographiques DIY (comme le Petit Bordelle de Misungui), comme les perfs
et la baise publique, font de l’alchimie :
transformation d’un quotidien triste et gris en partouze de sourires. Habiter
nos mondes en gémissant ou en criant. En foutre partout ! Pornstars
(Adriana Chechik, Charlotte Sartre, etc.) comme amatrices et couples
indépendants (Lena Loch, Lucy Cat, Rae Lil Black, Teacher of Magic, Bruce & Morgan, etc.) en deviennent, souvent sans le réaliser, de véritables pornoterroristes (dixit Torres)
vis-à-vis du biopouvoir. Dérives si vivantes que les moralistes se chient
dessus ! Soyons des chien.ne.s ou des bonobos
du porno : antispécisme basique et magique.
Alchimies orgasmiques
« Nos jouissances sont des
armes, des jets d’acide corrosif, nos orifices lubriques et dilatés sont des
barricades ou des pièges de sables mouvants, nos pénis de chair ou de plastique
sont des missiles, nos doigts des balles, nos langues des mitraillettes, nos
seins des grenades à main, toute l’extension de notre peau est un champ de
mines. » - Diana J. Torres
L’éducation à la publication est
aussi une éducation à l’orgasme. De
notre matière molle, fluide ou visqueuse, bricolage de peaux et de poils, de
trous et de bords, nous faisons des éruptions, incarnant nos fantômes, nos
corps terrestres montent et étoilent
les cieux à chaque orgasme… Mais la souveraineté du plaisir ultime risque de
retomber en enfer si l’atterrissage correspond à un retour à la normale, si la
solitude reprend le dessus sur la perte
dans le partage et si notre signature
reste lettre morte… De la transgression réalisant la libération de nos corps
désormais habités à celle libérant nos mondes, il y a une différence
notoire : celle d’une complicité
des plaisirs, amorcée par les rencontres touchantes et tracées au gré des
communes pornos. Ce que les orgasmes donnés
révèlent de l’ouverture inconsciente de nos structures est la gravité qu’images et sécrétions altèrent
et esquissent, contours de nos terres désormais communes. Ce qui sort de nos
corps trace des mondes que nous
habitons ensemble et louent des noms
inédits. Climat tropical dans nos biotopes
alchimiques. Ce qui en fout partout, ce qui souille, est la pire hantise de
la machine morale, fondamentalement ingouvernable, désordre, chaos
conduit : flux et geysers féminins, pisse, éjacs plurielles, sueurs et
salives, sang, cris, gémissements, etc. Transgrécriture de nos signatures sales
à même nos peaux obscènes. Les images publiées de ces débords sont ce qui
permet d’ancrer et de multiplier les partages au-delà de nos orgasmes locaux.
L’éducation à l’orgasme est ainsi aussi une manière de dilater et d’étendre nos
biotopes à travers les réseaux.
Dans son Magnum Opus, Forged
x Obscenities, Vex Ashley (avec son groupe de recherche artistique
nommé Four Chambers) cherche à
transmettre cette manière, insupportable pour le biopouvoir, d’habiter nos
mondes via le partage de nos orgasmes. Dans la première partie, le rouge du
sang et le jaune de la pisse sont exhibés jusqu’au grotesque (sucré, visqueux,
gourmand), matière à fantasmes d’abord, construisant un biotope porno
particulier (et rythmé par des poses contemplatives) puis, finalement, après
orgasmes, se répandant réellement (cris, foutre, puis, soudain, la pisse) ;
ça suinte de partout. Métamorphose de matières
obscènes en orages orgasmiques puis retour terrien à l’obscène mais en
communes pornos ayant changé à jamais nos réalités. Ce que peuvent ici
l’exploration et l’expérimentation transgressives, c’est au moins nous offrir
des biotopes désirables, et, malgré la complexité et la magie alchimique
entourant ces vidéos, elles rendent accessibles -en les exhibant joyeusement-
ce que les machines économiques voudraient invisibiliser. Dans la deuxième
partie, ce sont le blanc et le noir qui dominent, entre peaux et poils, pénétrations
et giclures, tendresse et violence. Là aussi, des orgasmes transforment notre
terre grotesque en biotopes accueillants.
La présence d’une performeuse enceinte jouissant en fontaine avec une métisse
faisant de même, la pratique du fist et la monstration d’une joie partagée sont le manifeste de la
puissance anti-économique de tels films. Miracle queer des incroyables potentialités de ce que des corps vivants,
même peu nombreux, peuvent créer. Une commune porno habitant un monde commence
à trois (deux corps + une cam) et s’étend ensuite, des transgressions locales
(biotopes de nos alchimies orgasmiques) à une révolution globale.
Dans leur série TV, Now
Apocalypse, Gregg Araki et Karley Sciortino montrent de manière pop et
non pornographique (mais rappelons quand même que, pour des modérateurs du
biopouvoir, les tétons féminins sont à deux doigts de l’éjac faciale) les liens
entre publication pornographique et biotopes alchimiques, via la trouvaille de
leurs orgasmes partagés. Dans le premier épisode, Ulysses et son nouvel amant
Gabriel se branlent mutuellement, dans la rue (vive l’exhib), et leurs orgasmes
semblent avoir d’incroyables répercussions cosmiques (le ciel se transforme et
fait écho à la résolution des contradictions internes à l’inavouable fantasme
du viol, son amant sodomisé dans une ruelle sombre par un alien). Ulysses
change alors de réalité. Dans le deuxième épisode, Carly se montre en
pornographe attentive, cam girl dominatrice, mais s’ennuie avec son amant.
L’inattendue révélation de sa volonté de soumission (à l’opposé du rôle qu’il
tenait avant, viril, en société) va leur permettre, à l’un comme à l’autre de
trouver l’orgasme… Là aussi, leur réalité s’en trouve métamorphosée.
Simultanément, Severine, sorcière s’il en est, initie son amant au polyamour et
au voyeurisme. Fun et fluo (excessivement coloré, à l’inverse de notre monde
habituel), la légèreté apparente (c’est une série comique) porte en fait en
elle une véritable éducation populaire à la recherche de communes pornos et de
plaisirs partagés. L’épisode 4 est celui des sécrétions et des rencontres
surprises… La diversité des situations et des fantasmes s’étale dans les
suivants mais, peu à peu, le manque de communication (au sens bataillien
-sensible) laisse place aux machines du biopouvoir et à leurs… aliens
sodomites. Ce que cela montre, c’est qu’il y a de très nombreux degrés
d’intensité et de libération dans la manière d’habiter nos corps et nos mondes
et que, finalement, l’amitié reste
la manière la plus fiable pour connecter
les plaisirs.
La rencontre et l’orgasme, dans
nos communes pornos, dévisagent l’image, attouchent le réel et dilatent le
langage.
Publier nos biotopes alchimiques liquéfie les machines économiques, nous les muons ainsi en complices cosmouilles.
Publier nos biotopes alchimiques liquéfie les machines économiques, nous les muons ainsi en complices cosmouilles.
Corpus
ANDRIEU Bernard, La
peur de l’orgasme, éd. Le Murmure, 2013.
BIDAUD Éric, Psychanalyse
et pornographie, éd. La Musardine, 2016.
BRUNE Elisa, Labo Sexo,
éd. Odile jacob, 2016.
LIPPI Silvia, Transgressions :
Bataille, Lacan, éd. Erès, 2008.
POMMIER Gérard, Que
veut dire "faire" l'amour ?, éd. Flammarion, 2010.
TORRES Diana J., Pornoterrorisme,
éd. Gatuzain, 2012.
Collectif, Cultures
pornographiques, éd. Amsterdam, 2015.
Films et textes de Vex ASHLEY visibles sur https://afourchamberedheart.com
Articles de Heather BERG lisibles sur https://www.drheatherberg.com/media
Article de Kate JULIAN lisible sur
Articles politiques anonymes lisibles sur https://lundi.am et https://yellowvests.wtf
Idée du titre venant du site https://inhabit.global/
Commentaires
Enregistrer un commentaire