Shadowbanning des TDS : censure algorithmique du plaisir

Cet article est la version web et abrégée du mémoire d'Aurélien Marion sur le shadowbanning.
En complément, voici une présentation illustrant les liens entre censure algorithmique et stratégies de communication.
shadowbanning : définition et description

Shadowbanning des TDS : censure algorithmique du plaisir

Shadowbanning des TDS : censure algorithmique du plaisir

« The patriarchy is in the algorithms.
Actually, let’s rephrase that. The white, cis, heteronormative patriarchy is in the algorithms.
Our digital world has been created for and by cis, straight, white men. When they write the algorithms, they embed all their prejudices, biases, and assumptions into the programs, and now we’re all living in the digital world they created for themselves. 
As the algorithms change and learn from the behaviour of their users, the patriarchy festers inside them, reinforcing and amplifying the sexist, racist status quo, click by click. » (Fitzsimmons, 2019)

Du Minitel rose aux forums Usenet, des premiers sites d’annonces web (comme Craigslist, dès 1996) à l’usage de cryptomonnaies, les travailleuses du sexe ont toujours été pionnières en communication numérique. Elles ont construit l’e-commerce et le web pro tel qu’on les connaît aujourd’hui : « Much of the internet as we know it today was built on the contributions and presence of sex workers and porn performers, and their exclusion from the historical narrative is a by product of sex work’s criminalization. » (Maxine Doogan, in Barrett-Ibarria, 2018)

Dans les pays criminalisant le travail sexuel (tous sauf la Nouvelle-Zélande et une partie de l’Australie), l'Internet a été révolutionnaire pour les travailleuses du sexe (TDS), de deux façons fondamentales :
  • il a permis d'établir le commerce dans un espace (presque) libre de persécutions et facilement accessible (plus simple, pour un·e pauvre, de faire de l'argent avec Internet que sans); 
  • il a aidé au développement de communautés locales et internationales, en offrant solidarité, sécurité et ressources partagées. 
 Hélas, ce refuge si prometteur n’a pas échappé au capitalisme :
« The internet has been a refuge for the economically marginalised as workplaces have become increasingly enclosed by the growth of global capitalism, whose very structure depends on there being a class excluded from wealth accumulation. [...] – this stood to be the most promising disruption in human history, and therefore meant that cyberspace had to be colonised by the same ideas that make systemic change so difficult in our immediate environments » (MacLeod, 2019)

Les travailleuses du sexe se trouvent à l’intersection des personnes les plus marginalisées, stigmatisées et exclues par le système capitaliste, tout en incluant l’intégralité du spectre des genres, des classes et des origines : « People of all classes, ethnicities, and genders enter sex work as a means to acquire wealth that they are otherwise excluded from. » (Ibidem) Le développement d’Internet a donc offert des opportunités inédites de luttes contre les inégalités et l’oppression économique. Cependant, les idées capitalistes et patriarcales ont fini par coloniser le Web, comme le reste du monde. 
Que s’est-il passé ?
Il y a eu la Silicon Valley et ses start-ups. Google (1998). Facebook (2004) et Instagram (2010). Facebook rachetant Instagram (2012). Il y a eu la généralisation des algorithmes :
« Algorithms are the backbone of content moderation online, but algorithms are based on policies, and policies are created by humans – humans with bias, and humans who are often working to protect the interests of their corporate clients. When policies are built with implicit or explicit bias, these values are extrapolated and implemented at scale across entire platforms and digital ecosystems. » (Salty, 2019b)
Autrement dit, lorsque Instagram a implémenté son nouvel algorithme d’apprentissage automatisé (Machine Learning, en 2016), ce sont les valeurs des hommes blancs cis hétéros l’ayant conçus qui sont venues avec. Les clients d’Instagram étant les annonceurs et les grandes marques, les travailleuses du sexe ont à en subir les conséquences hétéronormatives (renforcées par les usagers eux-mêmes).  Des formes de censure traditionnelles (suppression de contenus ne se conformant pas aux CGU, suspension des comptes jugés inappropriés) aux formes plus récentes et retorses :
Quels sont les impacts du « shadowbanning » d’Instagram sur la vie des travailleuses du sexe ?

De SESTA/FOSTA au « shadowbanning », 2018 fut faste pour les censeurs

Concernant la censure traditionnelle, Facebook et Instagram ont un passé particulièrement puritain. Leurs CGU sont longues et complexes mais il existe au moins une règle -sexiste- devenue tristement célèbre : les tétons ne peuvent être publiés que s’ils sont identifiés comme masculins (ceux-ci sont admis dans l’espace public états-unien depuis 1936). Ajoutons quelques cas célèbres de censure instagramienne : en 2013, la photographe Petra Collins voit disparaître une de ses publications, pourtant conforme aux CGU ; en 2015, même sort pour la poète Rupi Kaur. Ni l’une ni l’autre n’ont posté de nudité : dans le premier cas, ce sont des poils pubiens dépassant du maillot de bain ; dans le second cas, une tâche de sang menstruel, qui ont attiré les foudres de la censure. Résumons : les tétons féminins, les poils qui dépassent et même le sang menstruel sont considérés par les modérateurs d’Instagram comme « sexuellement suggestifs » (ou simplement inappropriés pour les clients de la marque, pas pour les usagers). (Faust, 2017)
L’algorithme implémenté en 2016 a multiplié les suppressions de publications (souvent par simple détection automatisée de photos non conformes) mais c’est depuis l’année 2018 que la censure s’est accélérée, systématisée et diversifiée. La promulgation de la loi fédérale états-unienne SESTA/FOSTA, signée par Trump début avril, réécrit l'article 230 du Communications Decency Act (1996), loi protégeant la liberté d'expression en ligne. En l'absence des protections de l'article 230, les sites web et plateformes sont rendus responsables du contenu posté par les usagers. Si du contenu promeut ou facilite des services sexuels, SESTA/FOSTA donne l’autorisation de sanctionner les sites où ce contenu apparaît. Quelles que soient les méthodes utilisées par les plateformes ou sites pour atténuer les risques juridiques, une chose est certaine : les voix marginalisées sont censurées de manière disproportionnée. Depuis SESTA/FOSTA, l’Internet s’est appauvri et a perdu en inclusivité. En quelques mois, Craigslist a fermé ses « Personal Ads » ; Backpage.com (site d’annonces publicitaires qui était très utilisé par les TDS) a été saisi par le FBI ; CloudFlare a lâché l’instance Mastodon dédiée aux TDS, Switter ; Tumblr a cessé, en décembre 2018, d’accepter les publications à caractère sexuel ; etc. « The organization Survivors Against SESTA curated a list of over a 100 platforms they believe discriminate against sex workers. » (Le Gay, 2019)

Chassées de partout, les travailleuses du sexe ont été obligées de se replier davantage sur les médias sociaux, devenu le meilleur moyen de promouvoir son business. Hélas, toujours en 2018 (à la suite de SESTA/FOSTA), Facebook, société mère d’Instagram, a mis à jour ses CGU sur la sollicitation sexuelle afin d'y inclure « un contenu qui facilite ou encourage implicitement ou indirectement les rapports sexuels entre adultes » et des « éléments suggestifs » comme motifs de censure. Au cours des semaines et des mois qui ont suivi, des milliers de publications et de comptes de TDS ont disparus d’Instagram, souvent pour des raisons vagues. Après appel, certains comptes ont été récupérés mais algorithmiquement invisibilisés, comme de très nombreux autres :
« Les rares personnes qui m’enthousiasment peinent à apparaitre dans mon feed, alors je dois aller les chercher dans la barre de recherche, une par une. Depuis peu, je me rends compte que je loupe beaucoup de leurs posts, et mes publications, elles, ne sont plus du tout aussi populaires qu’avant. C’est simple, mon audience a chuté de plus de la moitié. La faute à cette nouvelle politique d’invisibilisation des posts “vaguement inappropriés” lancée par Instagram ces derniers jours. » (Alizée, 2019)
Technique de modération existant depuis longtemps, le « shadowbanning » consiste à réduire la visibilité et la diffusion de publications respectant les CGU mais jugées inappropriées par la plateforme, sans que ni celui qui poste, ni ses abonnés, ne soient prévenus. (Cole, 2018b) Même si ce sont les images qui donnent lieu, le plus souvent, à de la censure algorithmique, certains mots et un certain nombre de #hashtags (dont certains très utilisés et assez anodins) impliqueraient aussi le « shadowbanning » (Ettachfini, 2018 ; Taylor, 2019a)
Les conséquences de cette invisibilisation sont rapides, nombreuses et particulièrement désastreuses : moins de promotion donc moins de clients, moins d'indépendance donc recours aux intermédiaires ; en déconnectant les TDS et en les empêchant de communiquer, la loi les pousse à prendre plus de risques et à retourner dans la rue. Perte de revenus et de temps, précarisation, isolement, etc. Les témoignages abondent pour expliquer à quel point la difficulté à rester visible, sur Instagram, met en péril la vie de nombreuses travailleuses du sexe. (Cole, 2018a ; Tierney, 2018)

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Survivre aux conséquences de l’invisibilisation numérique

En 2019, Facebook (Instagram) a clarifié et détaillé certains points de ses CGU, évoquant enfin sa pratique du « shadowbanning », sans la nommer ; puis, a approfondi sa traque aux connotations sexuelles, en allant jusqu’à interdire l’usage de certains emojis (🍆et 🍑) Ensuite, en septembre :
« 2019. Instagram efface les photos de petits garçons torse nu au motif qu'ils ont les cheveux longs. Et que l'algorithme les identifie donc comme des petites filles. Et que des petites filles torses nus sur Instagram c'est interdit. Rapport à l'interdiction de montrer un téton féminin. [...] le travail de ces réseaux que l'on dit sociaux est avant tout de produire de la norme et de faire en sorte que ladite norme satisfasse au modèle économique de régie publicitaire qui est le leur. [... elle] repose sur des effets de stigmatisation et de désignation (body shaming) qui hystérisent la visibilité de certains traits. Mais elle repose également de manière bien plus insidieuse, sournoise et, hélas efficace, sur notre besoin d'identification et d'appartenance sociale qui nous rend dociles à des effets d'invisibilisation toujours plus prégnants. [...] Ce qu'il faut retenir de l'histoire des garçons aux cheveux longs sur Instagram, c'est qu'une fois de plus "le numérique" oblige, nous oblige à renverser la charge de la preuve. » (Ertzscheid, 2019, nous soulignons)
Autrement dit, avec son invisibilisation numérique, Instagram oblige les TDS à prouver qu’elles ne sont pas en tort (présomption de culpabilité), à réclamer réparation et donc à devoir dépenser du temps, de l’argent et de l’énergie. Cela passe aussi, souvent, par une forme d’autocensure, pour rester visible, survivre sur les réseaux socio-numériques : « “It comes down to oppression of the body and female sexuality,” Mintcheva said of Instagram’s new shadow ban. “When it comes to sex workers, I think they’re actually the target of this kind of content demotion” » (Cook, 2019)
La censure algorithmique vise ainsi, en supprimant ou en invisibilisant des TDS (sous pseudos) à les réduire à une identité de victime et à les y assigner, à la fois pour dénier la légitimité de leur travail et pour mieux les surveiller. (Taylor, 2019b) Leur invisibilisation numérique est une modération morale et une production d’identité normée. Cette invisibilisation est aussi une démonétisation de leur travail, une normalisation de la sexualité (de manière générale) et une stigmatisation visant à exclure ce qui n’a pas déjà été « privatisé » par la culture hétéronormative (Berlant & Warner, 2018) :
« Subversion, queerness and dissent is silenced, censored and hidden by algorithms prioritizing only what can be monetized to most people. Sex work and the sexuality of marginalized groups have always been controlled as a method of limiting women’s power in society, but they are now being disappeared from our online spaces at an exponentially increasing rate. » (Ashley, 2019)

Pour survivre à ces tristes conséquences, le travail pornographique est souvent le meilleur moyen.
Le travail pornographique est probablement le travail sexuel le moins dangereux et le plus prestigieux (même s'il reste très stigmatisé). Il est donc très utilisé comme outil marketing pour se forger une identité de marque (via différentes plateformes), complémentaire d’un autre travail sexuel et important pour en surmonter la criminalisation. C’est un enjeu réputationnel, en particulier pour les webcameuses et les escortes, mais c’est souvent une mission et une source de revenus parmi d’autres :
« Working for trade, they produce content they can then sell using direct-to-consumer services. They may work as ‘feature dancers’ at strip clubs, offer services such as the ‘pornstar experience’ (‘PSE’ on escort advert sites), and advertise under the banner of ‘pornstar’ on webcam sites. Porn workers also monetize quotidian moments of their lives by building Twitter brands, soliciting online gifts, offering paid telephone calls and texts, and auctioning used lingerie to fans. Marketing themselves as ‘porn stars’ affords workers significantly increased income potential in these industries. [...]  porn workers have a keen understanding of the relations of content ownership – they work for others so that they can promote their own websites, films, custom videos, direct services, and so on. » (Berg, 2016)
Le travail pornographique est donc aussi une manière de reprendre le contrôle de son image (notamment, en travaillant sur son propre contenu, de la création à la diffusion) mais il est, pour cette raison précise, encore davantage soumis à la censure :
« En plus d’une censure manifeste, il s’agit d’entraves à l’évolution professionnelle d’artistes proposant des contenus ‘problématiques.’ Ces réseaux dits sociaux possèdent le monopole de la diffusion artistique en ligne [...] il est intéressant de parler de travail gratuit et d’invisibilisation au même titre que les tâches domestiques qui n’ont jamais rendu les femmes au foyer financièrement autonomes [...] La politique discriminatoire d’Instagram [...] semble cibler principalement le corps des femmes, ou plutôt certains corps de femmes. Dans ses nouvelles conditions d’utilisation, Facebook – et donc Instagram – interdit la nudité, les scènes d’activité sexuelle même si elles ne sont pas directement visibles et réaffirme au passage son puritanisme en bannissant tout ce qui touche de près ou de loin à la notion de plaisir. [...] En définitive, Instagram tolère les femmes si elles portent de la lingerie, sont épilées, n’ont pas leurs règles et ferment leur bouche » (Alizée, 2018, nous soulignons)

Récemment, le média indépendant Salty a révélé qu’il s’agit effectivement, pour Instagram, de privilégier les corps féminins relevant de la culture hétéronormative et sexiste (en plus d’être grossophobe et putophobe), il s’agit d’invisibiliser le plaisir féminin, en faveur du capitalisme :  
« Algorithms are the backbone of content moderation online, but algorithms are based on policies, and policies are created by humans – humans with bias, and humans who are often working to protect the interests of their corporate clients. [...] we were told, by a Facebook representative, that [the internal policies] were created in alignment with a Victoria’s Secret’s advertising campaign. [...] The fact that men are not included at all, supports the data that women’s bodies and women-led businesses are more highly policed than men on Instagram. It gets worse- throughout the entire policy document, women users are referred to, exclusively, as “girls.” » (Salty, 2019b, nous soulignons)
L’invisibilisation des TDS est donc multiple : il s’agit de faire disparaître leur plaisir, leur image, leur communauté et leur travail. Ce dernier s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement plus global de démonétisation du travail, via son émiettement et sa déspécialisation ; le travail sexuel est aussi, comme le travail algorithmique des modérateurs, du travail numérique. (Casilli, 2015)
Le travail sexuel est ainsi particulièrement visé par le « shadowbanning » d’Instagram car il est un levier puissant d’émancipation, d’indépendance et de redistribution des richesses :
« Il n’est pas acceptable pour le système que des femmes migrantes, des transgenres, des usagers de drogues, des mères célibataires et autres exclu-e-s puissent s’en sortir économiquement sans la ‘protection’ d’un mari, sans un patron qui les exploite. Parce que notre place doit être dans le travail dit productif, pour le profit de ceux qui détiennent les moyens de production. Si le travail sexuel devient une option d’émancipation économique trop simple, cela peut décourager les autres travailleurSEs d’accepter leur condition. [...] Il faut que nous soyons exclu-e-s du monde du travail, et que nous soyons représentéEs comme la plus pitoyable, et la plus méprisable des conditions. Dans le travail sexuel, les moyens de production nécessaires à la création d’une plus-value – le plaisir sexuel – sont assez limités. [...] Interdire le racolage ou pénaliser nos clients sont des moyens d’empêcher cette rencontre directe, de rendre le travail sexuel dangereux, et de nous forcer à passer par des intermédiaires pour les annonces ou la mise à disposition d’un local. [...] La revendication portée notamment par le Strass d’organiser des maisons ouvertes autogérées, en coopérative, serait une solution pour échapper à toute forme d’exploitation, mais c’est bien sûr interdit par la loi. Toute forme d’entraide ou de solidarité entre nous est considérée comme du proxénétisme. » (Schaffauser, 2017, nous soulignons)

L’impact de l’invisibilisation numérique se clarifie donc encore davantage : il s’agit, pour les plateformes capitalistes du système patriarcal et de la culture hétéronormative (comme Instagram), d’empêcher à tout prix l’émancipation économique des TDS. Quitte à les mettre en danger et à favoriser le trafic sexuel (tout en affirmant le combattre). En France, la proposition de loi "haine" prolonge SESTA/FOSTA, dans l'optique évidente de maintenir l'ordre politique en place. Les censeurs du système cherchent ainsi à conserver la hiérarchie hétéronormative :
 « on peut même analyser dans le maintien de la précarisation des travailleuses du sexe leur constitution institutionnalisée en une armée de réserve des travailleuses domestiques, et ainsi voir s’instaurer un système à trois niveaux dans le travail des femmes : à un premier niveau, la force de travail féminine, destinée au secteur productif, et qui continue à être moins rémunérée que celle des hommes, participe d’un système qui continue d’imposer aux femmes un modèle hétérosexiste puisque le mariage apparaît comme un moyen d’atteindre un niveau de vie qu’un salaire féminin seul ne permet pas. À un deuxième niveau, les politiques migratoires qui maintiennent le bas prix du travail domestique renforcent également le niveau de salaire plus faible des femmes employées dans le secteur productif. Enfin, au niveau des travailleuses du sexe, la répression et la stigmatisation de ces dernières prend la forme d’une menace pesant sur les femmes qui n’accepteraient pas les conditions d’exploitation du travail salarié, domestique, ou du mariage. » (Merteuil, 2014, nous soulignons)
Les implications de la censure algorithmique sont si profondes qu’elles touchent à la racine de l’organisation économique du monde. « Shadowbanning » est le nom d’une machine morale brutale et la généralisation de la censure algorithmique vise l’intimité de tou·te·s. (Le Gay, 2019)
« The more we’re able to provide one another with information, to spread resources, give warnings, share recommendations, come together for emergency funding support, or organize political actions, the safer and more empowered we can be. At the end of the day, political organizing and empowerment are deeply reliant upon the ability of social media users to find each other. You can’t have a revolution with invisible people, after all. But for many sex workers, it’s not just about the big political and economic factors. It’s about the small stuff that visibility brings to communities. [...] “If Pornhub is the only way people are interacting with sex workers,” says Roux, “[then] we can’t post our cat or our broken-down car [pictures]. Social media is a humanizing factor, and not having access to that dehumanizes us and our profession. [...] Access to visibility, whether we use it to post pictures of our pets or start the fucking revolution, is indeed a human right. It is a right that is being actively quashed by paternalistic tech companies with help from the surveillance state and moral crusaders. » (Liara Roux in Fitzgerald & Sage, 2019, nous soulignons)

Surveillance globale, scam, spam et guérilla morale

Les arnaqueurs, mafieux suprémacistes et trolls moralistes grouillent dans le système patriarcal. Ils cherchent soit à lancer des campagnes de harcèlement/signalement, soit à se faire de l'argent sur le dos des TDS (scam), soit à générer des fakes/bots nuisant à la réputation des escortes (spam). Dans tous les cas, les vols d'identité pour tromper les fans et clients sont notamment permis par la suppression, l'invisibilisation et le refus de vérification des comptes de TDS. Les grandes structures capitalistes sont donc les alliées objectives des petits criminels. Plus précisément, il semblerait qu'elles leur ouvrent la porte, comme elles utilisent les lobbies et sectes de la machine morale : « What we have here is a Perfect Storm where three separate elements came together to wreak havoc on the life, livelihood and work (yes, building a huge Instagram presence takes a lot of work) of sex workers. The three elements are :
  • the current "War on Porn," which influences politics and corporations at all levels
  • the peculiar microculture of Silicon Valley and
  • the usual creeps and small-time crooks who have preyed on sex workers since time out of mind. » (Turner, 2019, nous soulignons)
Le système patriarcal, et sa culture hétéronormative, s'enrichit, encore plus fondamentalement, avec le capitalisme de la surveillance. SESTA/FOSTA a toujours déjà été utilisé comme paravent aux structures capitalistes Palantir & Thorn :
« One of Palantir’s partners is the non-profit Thorn, founded by Ashton Kutcher in 2012 with CEO Julie Cordua at the helm. Thorn’s supposed aim is to end child sex trafficking through its two programs Safer and Spotlight. Safer is based around content moderation, but Spotlight is a program that is used by law enforcement. During a panel, “Rescue Industry Woes: Policy & Advocacy Addressing Savorism,” the interim director and co-founder of Red Canary Song, Kate Zen, called out Thorn and Spotlight. She explained that Spotlight “takes escort ads from various different advertising sites and makes it available so that Facebook, Twitter, Snapchat, Pinterest, Imgur, Tinder and OK Cupid all have access to your escort ads. They have access to your faces and your photos if you’ve done any ads.” With facial recognition technology, your face is all non-profits, like Thorn and law enforcement who they partner with, need to identify you across multiple social networking websites. Zen went on to say that Thorn has an extremely close relationship with Facebook, even hosting hackathons for Save the Children together. [...] Thorn later confirmed its use of online ads posted by sex workers in a June Quartz article, which happily boasted that Thorn uses tools such as Amazon’s Rekognition products to identify sex trafficking victims, specifically using Rekognition’s face recognition software, Indexfaces. [...] It would be optimistic to believe that Thorn’s Spotlight program isn’t directly being used in the continued pushing out of sex workers in online spaces, especially as there has been an increase in sex workers being pushed off social media platforms, specifically Instagram and Twitter. It should be noted that in addition to Palantir, Thorn partners with Amazon, Google, IAC, Digital Reasoning, Microsoft, MemSQL, Elastic and Domino, at least according to their website. [...] The normalization of facial recognition technology and mass surveillance being used to target marginalized communities, whether in the hopes of “saving them” or not, is dangerous [...] These technologies do inflict real harm on everyday people, but mass surveillance in the name of anti-trafficking efforts can actually often do more harm than good. Companies such as Palantir, Thorn, Google (which donated $11.5 million to anti-trafficking organizations) and their social networking counterparts, such as Facebook, Snapchat and Twitter, seem to have combined their forces to slowly shadowban or use terms of service to kick all sex workers off the internet, simply for existing online in digital spaces. » (Taylor, 2019b, nous soulignons)
Nous voyons ici que les technologies permettant la collecte des données (et leur analyse), l'identification (notamment via la reconnaissance faciale), la surveillance globale et la modération morale proviennent toutes des immenses puissances californiennes. Prenant en otage la lutte contre les trafics d'êtres humains, ces structures en profitent pour produire un véritable marché des victimes. Celles-ci sont, le plus souvent, manipulées

La guérilla engagée par la communauté des TDS, pour survivre mais aussi pour nous offrir un monde meilleur (désirable et habitable) est donc primordiale. Pour tou·tes celleux qui souffrent. Celleux qui sont exclu·es. Stigmatisées. Marginalisées. Oubliées. 
Se montrer digne de ce combat, contre la censure algorithmique du plaisir, revient à soutenir les TDS, par tous les moyens possibles. Il s'agit de redistribuer les richesses afin de créer les conditions de la destitution de leur monde, de hacker le système patriarcal en désactivant les mécanismes hétéronormatifs, et, de révéler l'invisible pour réussir à vivre libre.

BIBLIOGRAPHIE/WEBOGRAPHIE PRINCIPALE
                           
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