Shadowbanning des TDS : censure algorithmique du plaisir
Cet article est la version web et abrégée du mémoire d'Aurélien Marion sur le shadowbanning.
En complément, voici une présentation illustrant les liens entre censure algorithmique et stratégies de communication.
Shadowbanning des TDS : censure algorithmique du plaisir
« The patriarchy is in the algorithms.
Actually, let’s rephrase that. The white, cis,
heteronormative patriarchy is in the algorithms.
Our digital world has been created for and by cis, straight,
white men. When they write the algorithms, they embed all their prejudices,
biases, and assumptions into the programs, and now we’re all living in the
digital world they created for themselves.
As the algorithms change and learn
from the behaviour of their users, the patriarchy festers inside them,
reinforcing and amplifying the sexist, racist status quo, click by
click. » (Fitzsimmons, 2019)
Du Minitel rose
aux forums Usenet, des premiers sites d’annonces web (comme Craigslist, dès
1996) à l’usage de cryptomonnaies, les travailleuses du sexe ont toujours été pionnières
en communication numérique. Elles ont construit l’e-commerce et le web
pro tel qu’on les connaît aujourd’hui : « Much of the
internet as we know it today was built on the contributions and presence of sex
workers and porn performers, and their exclusion from the historical narrative
is a by product of sex work’s criminalization. » (Maxine Doogan, in Barrett-Ibarria,
2018)
Dans les pays criminalisant le travail sexuel (tous sauf la
Nouvelle-Zélande et une partie de l’Australie), l'Internet a été
révolutionnaire pour les travailleuses du sexe (TDS), de deux façons
fondamentales :
- il a permis d'établir le commerce dans un espace (presque) libre de persécutions et facilement accessible (plus simple, pour un·e pauvre, de faire de l'argent avec Internet que sans);
- il a aidé au développement de communautés locales et internationales, en offrant solidarité, sécurité et ressources partagées.
« The
internet has been a refuge for the economically marginalised as workplaces have
become increasingly enclosed by the growth of global capitalism, whose very
structure depends on there being a class excluded from wealth accumulation.
[...] – this stood to be the most promising disruption in human history, and
therefore meant that cyberspace had to be colonised by the same ideas that make
systemic change so difficult in our immediate environments » (MacLeod, 2019)
Les travailleuses du sexe se trouvent à l’intersection
des personnes les plus marginalisées, stigmatisées et exclues par le système
capitaliste, tout en incluant l’intégralité du spectre des genres, des classes
et des origines : « People of all classes, ethnicities, and genders
enter sex work as a means to acquire wealth that they are otherwise excluded
from. » (Ibidem) Le développement d’Internet a donc offert des opportunités
inédites de luttes contre les inégalités et l’oppression économique.
Cependant, les idées capitalistes et patriarcales ont fini par coloniser le
Web, comme le reste du monde.
Que s’est-il passé ?
Que s’est-il passé ?
Il y a eu la Silicon Valley et ses start-ups. Google (1998).
Facebook (2004) et Instagram (2010). Facebook rachetant Instagram
(2012). Il y a eu la généralisation des algorithmes :
« Algorithms are the backbone of
content moderation online, but algorithms are based on policies, and policies
are created by humans – humans with bias, and humans who are often working to
protect the interests of their corporate clients. When policies are built with
implicit or explicit bias, these values are extrapolated and implemented at
scale across entire platforms and digital ecosystems. » (Salty, 2019b)
Autrement dit, lorsque Instagram a implémenté son nouvel
algorithme d’apprentissage automatisé (Machine Learning, en 2016), ce sont les
valeurs des hommes blancs cis hétéros l’ayant conçus qui sont venues avec. Les
clients d’Instagram étant les annonceurs et les grandes marques, les travailleuses
du sexe ont à en subir les conséquences hétéronormatives (renforcées par les
usagers eux-mêmes). Des formes de censure
traditionnelles (suppression de contenus ne se conformant pas aux CGU,
suspension des comptes jugés inappropriés) aux formes plus récentes et retorses :
Quels sont les impacts du « shadowbanning »
d’Instagram sur la vie des travailleuses du sexe ?
De SESTA/FOSTA au « shadowbanning », 2018 fut faste pour les censeurs
Concernant la censure traditionnelle, Facebook et Instagram
ont un passé particulièrement puritain. Leurs CGU sont longues et complexes
mais il existe au moins une règle -sexiste- devenue tristement célèbre :
les tétons ne peuvent être publiés que s’ils sont identifiés comme
masculins (ceux-ci sont admis dans l’espace public états-unien depuis 1936). Ajoutons
quelques cas célèbres de censure instagramienne : en 2013, la photographe
Petra Collins voit disparaître une de ses publications, pourtant conforme aux
CGU ; en 2015, même sort pour la poète Rupi Kaur. Ni l’une ni
l’autre n’ont posté de nudité : dans le premier cas, ce sont des poils
pubiens dépassant du maillot de bain ; dans le second cas, une tâche de sang
menstruel, qui ont attiré les foudres de la censure. Résumons : les tétons
féminins, les poils qui dépassent et même le sang menstruel sont
considérés par les modérateurs d’Instagram comme « sexuellement suggestifs »
(ou simplement inappropriés pour les clients de la marque, pas pour les
usagers). (Faust,
2017)
L’algorithme implémenté en 2016 a multiplié les suppressions
de publications (souvent par simple détection automatisée de photos non
conformes) mais c’est depuis l’année 2018 que la censure s’est accélérée,
systématisée et diversifiée. La promulgation de la loi fédérale états-unienne
SESTA/FOSTA, signée par Trump début avril, réécrit l'article 230 du Communications
Decency Act (1996), loi protégeant la liberté d'expression en ligne. En l'absence des
protections de l'article 230, les sites web et plateformes sont rendus responsables
du contenu posté par les usagers. Si du contenu promeut ou facilite des
services sexuels, SESTA/FOSTA donne l’autorisation de sanctionner les sites où
ce contenu apparaît. Quelles que soient les méthodes utilisées par les
plateformes ou sites pour atténuer les risques juridiques, une chose est certaine : les voix
marginalisées sont censurées de manière disproportionnée. Depuis
SESTA/FOSTA, l’Internet s’est appauvri et a perdu en inclusivité. En quelques
mois, Craigslist a fermé ses « Personal Ads » ; Backpage.com
(site d’annonces publicitaires qui était très utilisé par les TDS) a été saisi par
le FBI ; CloudFlare a lâché l’instance Mastodon dédiée aux TDS, Switter ;
Tumblr
a cessé, en décembre 2018, d’accepter les publications à caractère sexuel ;
etc. « The organization Survivors Against SESTA curated a list of over a 100
platforms they believe discriminate against sex workers. » (Le Gay,
2019)
Chassées de partout, les travailleuses du sexe ont été
obligées de se replier davantage sur les médias sociaux, devenu le meilleur
moyen de promouvoir son business. Hélas, toujours en 2018 (à la suite de
SESTA/FOSTA), Facebook,
société mère d’Instagram, a mis à jour ses CGU sur la sollicitation sexuelle
afin d'y inclure « un contenu qui facilite ou encourage implicitement
ou indirectement les rapports sexuels entre adultes » et des « éléments
suggestifs » comme motifs de censure. Au cours des semaines et des
mois qui ont suivi, des milliers
de publications et de comptes de TDS ont disparus d’Instagram, souvent
pour des raisons vagues. Après appel, certains comptes ont été récupérés mais
algorithmiquement invisibilisés, comme de très nombreux autres :
« Les rares personnes qui
m’enthousiasment peinent à apparaitre dans mon feed, alors je dois aller les
chercher dans la barre de recherche, une par une. Depuis peu, je me rends
compte que je loupe beaucoup de leurs posts, et mes publications, elles, ne
sont plus du tout aussi populaires qu’avant. C’est simple, mon audience a chuté
de plus de la moitié. La faute à cette nouvelle politique d’invisibilisation
des posts “vaguement inappropriés” lancée par Instagram ces derniers
jours. » (Alizée, 2019)
Technique de modération existant depuis longtemps, le
« shadowbanning » consiste à réduire la visibilité et la diffusion de
publications respectant les CGU mais jugées inappropriées par la
plateforme, sans que ni celui qui poste, ni ses abonnés, ne soient
prévenus. (Cole, 2018b) Même si ce sont les images qui donnent lieu, le plus
souvent, à de la censure algorithmique, certains mots et un certain
nombre de #hashtags (dont
certains très utilisés et assez anodins) impliqueraient aussi le
« shadowbanning » (Ettachfini, 2018 ; Taylor, 2019a)
Les conséquences de cette invisibilisation sont rapides,
nombreuses et particulièrement désastreuses : moins de promotion donc
moins de clients, moins d'indépendance donc recours aux intermédiaires ;
en déconnectant les TDS et en les empêchant de communiquer, la loi les pousse à
prendre plus de risques et à retourner dans la rue. Perte de revenus et
de temps, précarisation, isolement, etc. Les témoignages abondent
pour expliquer à quel point la difficulté à rester visible, sur Instagram, met
en péril la vie de nombreuses travailleuses du sexe. (Cole, 2018a ;
Tierney, 2018)
Survivre aux conséquences de l’invisibilisation numérique
En
2019, Facebook (Instagram) a clarifié et détaillé certains points de ses CGU, évoquant enfin sa pratique du
« shadowbanning », sans la nommer ; puis, a approfondi sa traque
aux connotations sexuelles, en allant jusqu’à interdire l’usage de
certains emojis (🍆et 🍑) Ensuite, en
septembre :
« 2019.
Instagram efface les photos de petits garçons torse nu au motif qu'ils ont les
cheveux longs. Et que l'algorithme les identifie donc comme des petites filles.
Et que des petites filles torses nus sur Instagram c'est interdit. Rapport à
l'interdiction de montrer un téton féminin. [...] le travail de ces réseaux que
l'on dit sociaux est avant tout de produire de la norme et de faire en
sorte que ladite norme satisfasse au modèle économique de régie
publicitaire qui est le leur. [... elle] repose sur des effets de
stigmatisation et de désignation (body shaming) qui hystérisent la
visibilité de certains traits. Mais elle repose également de manière bien
plus insidieuse, sournoise et, hélas efficace, sur notre besoin
d'identification et d'appartenance sociale qui nous rend dociles à des
effets d'invisibilisation toujours plus prégnants. [...] Ce qu'il faut
retenir de l'histoire des garçons aux cheveux longs sur Instagram, c'est qu'une
fois de plus "le numérique" oblige, nous oblige à renverser la
charge de la preuve. » (Ertzscheid, 2019, nous soulignons)
Autrement
dit, avec son invisibilisation numérique, Instagram oblige les TDS à prouver
qu’elles ne sont pas en tort (présomption de culpabilité), à réclamer
réparation et donc à devoir dépenser du temps, de l’argent et de l’énergie. Cela passe aussi, souvent, par une forme d’autocensure, pour
rester visible, survivre sur les réseaux socio-numériques : « “It
comes down to oppression of the body and female sexuality,”
Mintcheva said of Instagram’s new shadow ban. “When it comes to sex workers, I
think they’re actually the target of this kind of content demotion” »
(Cook, 2019)
La
censure algorithmique vise ainsi, en supprimant ou en invisibilisant des TDS
(sous pseudos) à les réduire à une identité de victime et à les y
assigner, à la fois pour dénier la légitimité de leur travail et pour
mieux les surveiller. (Taylor, 2019b) Leur invisibilisation numérique
est une modération morale et une production d’identité normée.
Cette invisibilisation est aussi une démonétisation de leur travail, une
normalisation de la sexualité (de manière générale) et une stigmatisation
visant à exclure ce qui n’a pas déjà été « privatisé » par la culture
hétéronormative (Berlant & Warner, 2018) :
« Subversion,
queerness and dissent is silenced, censored and hidden by algorithms
prioritizing only what can be monetized to most people. Sex work and the
sexuality of marginalized groups have always been controlled as a method of
limiting women’s power in society, but they are now being disappeared from our
online spaces at an exponentially increasing rate. » (Ashley, 2019)
Pour survivre à ces tristes conséquences, le travail
pornographique est souvent le meilleur moyen.
Le travail pornographique est probablement le travail sexuel le
moins dangereux et le plus prestigieux (même s'il reste très stigmatisé). Il est donc très
utilisé comme outil marketing pour se forger une identité de marque (via différentes plateformes),
complémentaire d’un autre travail sexuel et important pour en surmonter la
criminalisation. C’est un enjeu réputationnel, en particulier pour les
webcameuses et les escortes, mais c’est souvent une mission et une source de
revenus parmi d’autres :
« Working
for trade, they produce content they can then sell using direct-to-consumer
services. They may work as ‘feature dancers’ at strip clubs, offer services
such as the ‘pornstar experience’ (‘PSE’ on escort advert sites), and advertise
under the banner of ‘pornstar’ on webcam sites. Porn workers also monetize
quotidian moments of their lives by building Twitter brands, soliciting online
gifts, offering paid telephone calls and texts, and auctioning used lingerie to
fans. Marketing themselves as ‘porn stars’ affords workers significantly increased
income potential in these industries. [...] porn workers have a keen understanding of the relations of content ownership – they work for others so that they can promote their own websites, films, custom videos, direct services, and so on. » (Berg, 2016)
Le travail pornographique est donc aussi une manière de reprendre
le contrôle de son image (notamment, en travaillant sur son propre contenu, de la création à la diffusion) mais il est, pour cette raison précise, encore
davantage soumis à la censure :
« En plus
d’une censure manifeste, il s’agit d’entraves à l’évolution professionnelle
d’artistes proposant des contenus ‘problématiques.’ Ces réseaux dits sociaux
possèdent le monopole de la diffusion artistique en ligne [...]
il est intéressant de parler de travail gratuit et d’invisibilisation au même
titre que les tâches domestiques qui n’ont jamais rendu les femmes au foyer
financièrement autonomes [...] La politique
discriminatoire d’Instagram [...] semble cibler principalement le corps des
femmes, ou plutôt certains corps de femmes. Dans ses nouvelles
conditions d’utilisation, Facebook – et donc Instagram – interdit la nudité,
les scènes d’activité sexuelle même si elles ne sont pas directement
visibles et réaffirme au passage son puritanisme en bannissant tout ce qui
touche de près ou de loin à la notion de plaisir. [...] En définitive,
Instagram tolère les femmes si elles portent de la lingerie, sont épilées,
n’ont pas leurs règles et ferment leur bouche » (Alizée, 2018, nous
soulignons)
Récemment, le média indépendant Salty a révélé qu’il
s’agit effectivement, pour Instagram, de privilégier les corps féminins
relevant de la culture hétéronormative et sexiste (en plus d’être grossophobe et
putophobe), il s’agit d’invisibiliser le plaisir féminin, en faveur du
capitalisme :
« Algorithms
are the backbone of content moderation online, but algorithms are based on
policies, and policies are created by humans – humans with bias, and humans who
are often working to protect the interests of their corporate clients.
[...] we were told, by a Facebook representative, that [the internal policies]
were created in alignment with a Victoria’s Secret’s advertising
campaign. [...]
The fact that men are not included at all, supports the data that women’s
bodies and women-led businesses are more highly policed than men on Instagram.
It gets worse- throughout the entire policy document, women users are referred
to, exclusively, as “girls.” » (Salty, 2019b, nous soulignons)
L’invisibilisation des TDS est donc multiple : il s’agit
de faire disparaître leur plaisir, leur image, leur communauté et leur
travail. Ce dernier s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement plus global de
démonétisation du travail, via son émiettement et sa déspécialisation ; le
travail sexuel est aussi, comme le travail algorithmique des
modérateurs, du travail numérique. (Casilli, 2015)
Le travail sexuel est ainsi particulièrement visé par le
« shadowbanning » d’Instagram car il est un levier puissant
d’émancipation, d’indépendance et de redistribution des richesses :
« Il n’est pas acceptable pour le système que des
femmes migrantes, des transgenres, des usagers de drogues, des mères
célibataires et autres exclu-e-s puissent s’en sortir économiquement sans la
‘protection’ d’un mari, sans un patron qui les exploite. Parce que notre place
doit être dans le travail dit productif, pour le profit de ceux qui détiennent
les moyens de production. Si le travail sexuel devient une option
d’émancipation économique trop simple, cela peut décourager les autres
travailleurSEs d’accepter leur condition. [...] Il faut que nous soyons
exclu-e-s du monde du travail, et que nous soyons représentéEs comme la plus
pitoyable, et la plus méprisable des conditions. Dans le travail sexuel, les
moyens de production nécessaires à la création d’une plus-value – le
plaisir sexuel – sont assez limités. [...] Interdire le racolage ou
pénaliser nos clients sont des moyens d’empêcher cette rencontre directe, de
rendre le travail sexuel dangereux, et de nous forcer à passer par des
intermédiaires pour les annonces ou la mise à disposition d’un local. [...] La
revendication portée notamment par le Strass d’organiser des maisons ouvertes
autogérées, en coopérative, serait une solution pour échapper à toute forme
d’exploitation, mais c’est bien sûr interdit par la loi. Toute forme d’entraide
ou de solidarité entre nous est considérée comme du proxénétisme. »
(Schaffauser, 2017, nous soulignons)
L’impact de l’invisibilisation numérique se
clarifie donc encore davantage : il s’agit, pour les plateformes
capitalistes du système patriarcal et de la culture hétéronormative (comme
Instagram), d’empêcher à tout prix l’émancipation économique des TDS. Quitte à
les mettre en danger et à favoriser le trafic sexuel (tout en affirmant
le combattre). En France, la proposition de loi "haine" prolonge SESTA/FOSTA, dans l'optique évidente de maintenir l'ordre politique en place. Les censeurs du système cherchent ainsi à conserver la hiérarchie hétéronormative :
« on
peut même analyser dans le maintien de la précarisation des travailleuses du
sexe leur constitution institutionnalisée en une armée de réserve des
travailleuses domestiques, et ainsi voir s’instaurer un système à trois niveaux
dans le travail des femmes : à un premier niveau, la force de travail féminine,
destinée au secteur productif, et qui continue à être moins rémunérée que celle
des hommes, participe d’un système qui continue d’imposer aux femmes un modèle
hétérosexiste puisque le mariage apparaît comme un moyen d’atteindre un niveau
de vie qu’un salaire féminin seul ne permet pas. À un deuxième niveau, les
politiques migratoires qui maintiennent le bas prix du travail domestique
renforcent également le niveau de salaire plus faible des femmes employées dans
le secteur productif. Enfin, au niveau des travailleuses du sexe, la répression
et la stigmatisation de ces dernières prend la forme d’une menace pesant sur
les femmes qui n’accepteraient pas les conditions d’exploitation du travail
salarié, domestique, ou du mariage. » (Merteuil, 2014, nous soulignons)
Les implications de la censure algorithmique sont si
profondes qu’elles touchent à la racine de l’organisation économique du monde. « Shadowbanning » est le nom d’une machine morale brutale et
la généralisation de la
censure algorithmique vise l’intimité de tou·te·s. (Le Gay, 2019)
« The
more we’re able to provide one another with information, to spread resources,
give warnings, share recommendations, come together for emergency funding
support, or organize political actions, the safer and more empowered we can be.
At the end of the day, political organizing and empowerment are deeply reliant
upon the ability of social media users to find each other. You can’t have a
revolution with invisible people, after all. But for many sex workers, it’s
not just about the big political and economic factors. It’s about the small
stuff that visibility brings to communities. [...] “If Pornhub is the only way
people are interacting with sex workers,” says Roux, “[then] we can’t post our
cat or our broken-down car [pictures]. Social media is a humanizing factor, and
not having access to that dehumanizes us and our profession. [...] Access
to visibility, whether we use it to post pictures of our pets or start the
fucking revolution, is indeed a human right. It is a right that is being
actively quashed by paternalistic tech companies with help from the
surveillance state and moral crusaders. » (Liara Roux in Fitzgerald & Sage, 2019, nous soulignons)
Surveillance globale, scam, spam et guérilla morale
Les arnaqueurs, mafieux suprémacistes et trolls moralistes grouillent dans le système patriarcal. Ils cherchent soit à lancer des campagnes de harcèlement/signalement, soit à se faire de l'argent sur le dos des TDS (scam), soit à générer des fakes/bots nuisant à la réputation des escortes (spam). Dans tous les cas, les vols d'identité pour tromper les fans et clients sont notamment permis par la suppression, l'invisibilisation et le refus de vérification des comptes de TDS. Les grandes structures capitalistes sont donc les alliées objectives des petits criminels. Plus précisément, il semblerait qu'elles leur ouvrent la porte, comme elles utilisent les lobbies et sectes de la machine morale : « What we have here is a Perfect Storm where three separate
elements came together to wreak havoc on the life, livelihood and work (yes,
building a huge Instagram presence takes a lot of work) of sex workers. The
three elements are :
- the current "War on Porn," which influences politics and corporations at all levels
- the peculiar microculture of Silicon Valley and
- the usual creeps and small-time crooks who have preyed on sex workers since time out of mind. » (Turner, 2019, nous soulignons)
Le système patriarcal, et sa culture hétéronormative, s'enrichit, encore plus fondamentalement, avec le capitalisme de la surveillance. SESTA/FOSTA a toujours déjà été utilisé comme paravent aux structures capitalistes Palantir & Thorn :
La guérilla engagée par la communauté des TDS, pour survivre mais aussi pour nous offrir un monde meilleur (désirable et habitable) est donc primordiale. Pour tou·tes celleux qui souffrent. Celleux qui sont exclu·es. Stigmatisées. Marginalisées. Oubliées.
Se montrer digne de ce combat, contre la censure algorithmique du plaisir, revient à soutenir les TDS, par tous les moyens possibles. Il s'agit de redistribuer les richesses afin de créer les conditions de la destitution de leur monde, de hacker le système patriarcal en désactivant les mécanismes hétéronormatifs, et, de révéler l'invisible pour réussir à vivre libre.
BIBLIOGRAPHIE/WEBOGRAPHIE PRINCIPALE
« One
of Palantir’s partners is the non-profit Thorn, founded by Ashton Kutcher in 2012 with CEO Julie Cordua at the helm.
Thorn’s supposed aim is to end child sex trafficking through its two programs
Safer and Spotlight. Safer is based around content moderation, but Spotlight is a program that is used
by law enforcement. During a panel, “Rescue Industry Woes: Policy &
Advocacy Addressing Savorism,” the interim director and co-founder of Red Canary Song, Kate
Zen, called out Thorn and Spotlight. She explained
that Spotlight “takes escort ads from various different advertising sites
and makes it available so that Facebook, Twitter, Snapchat, Pinterest, Imgur, Tinder and OK Cupid all have access to your escort ads.
They have access to your faces and your photos if you’ve done any ads.” With
facial recognition technology, your face is all non-profits, like Thorn and law
enforcement who they partner with, need to identify you across multiple social
networking websites. Zen went on to say that Thorn has an extremely close
relationship with Facebook, even hosting hackathons for Save the Children
together. [...] Thorn
later confirmed its use of online ads posted by sex workers in a June Quartz article, which happily boasted that Thorn uses tools
such as Amazon’s Rekognition
products to identify sex trafficking victims, specifically using Rekognition’s
face recognition software, Indexfaces. [...] It
would be optimistic to believe that Thorn’s Spotlight program isn’t directly
being used in the continued pushing out of sex workers in online spaces,
especially as there has been an increase in sex workers being pushed off social
media platforms, specifically Instagram and Twitter. It should be noted that in addition to Palantir,
Thorn partners with Amazon, Google, IAC, Digital Reasoning, Microsoft, MemSQL,
Elastic and Domino, at least according to their website. [...] The
normalization of facial recognition technology and mass surveillance being used
to target marginalized communities, whether in the hopes of “saving them” or
not, is dangerous [...] These
technologies do inflict real harm on everyday people, but mass surveillance in
the name of anti-trafficking efforts can actually often do more harm
than good. Companies such as Palantir, Thorn, Google (which donated $11.5 million to anti-trafficking organizations) and their
social networking counterparts, such as Facebook, Snapchat and Twitter, seem to
have combined their forces to slowly shadowban or use terms of service to kick
all sex workers off the internet, simply for existing online in digital spaces. » (Taylor, 2019b, nous soulignons)
Nous voyons ici que les technologies permettant la collecte des données (et leur analyse), l'identification (notamment via la reconnaissance faciale), la surveillance globale et la modération morale proviennent toutes des immenses puissances californiennes. Prenant en otage la lutte contre les trafics d'êtres humains, ces structures en profitent pour produire un véritable marché des victimes. Celles-ci sont, le plus souvent, manipulées. La guérilla engagée par la communauté des TDS, pour survivre mais aussi pour nous offrir un monde meilleur (désirable et habitable) est donc primordiale. Pour tou·tes celleux qui souffrent. Celleux qui sont exclu·es. Stigmatisées. Marginalisées. Oubliées.
Se montrer digne de ce combat, contre la censure algorithmique du plaisir, revient à soutenir les TDS, par tous les moyens possibles. Il s'agit de redistribuer les richesses afin de créer les conditions de la destitution de leur monde, de hacker le système patriarcal en désactivant les mécanismes hétéronormatifs, et, de révéler l'invisible pour réussir à vivre libre.
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